4, 7, 9 : les préfixes à 1 chiffre, 20 ans après !

En 2018 nous avons fêté les 20 ans de la concurrence dans la téléphonie fixe ! En effet c’est le 1er janvier 1998 que la concurrence a officiellement été ouverte sur le service de téléphonie en France.

Cette ouverture du marché avait été organisée par l’ART (Autorité de Régulation des Télécom), « ancêtre » de notre ARCEP actuelle.

A cette occasion j’ai trouvé intéressant de revenir sur un mécanisme, aujourd’hui oublié de tous ou presque,  qui était la clé de voûte du lancement des offres concurrentes sur le marché grand public : les préfixes à 1 chiffre. Ces préfixes ont  symbolisé et rendu concrets ces nouveaux services de téléphonie, on pourrait même dire qu’ils les ont incarnés puisqu’ils sont devenus des marques (« 9 Télécom » pour le préfixe 9, « le 7 de Cegetel » pour le préfixe 7) et même un personnage rendu familier par une pub TV (Monsieur Le Neuf).

A quoi servait le préfixe à 1 chiffre ?

On pourrait résumer l’utilisation de la manière suivante : une fois abonné au service d’un nouvel opérateur téléphonique, l’utilisateur remplaçait le 0 en tête du numéro de téléphone par le préfixe de son opérateur au moment de composer un numéro. L’appel lui était alors facturé par cet opérateur, à un prix moins élevé que le tarif France Télécom.

Malheureusement dans les détails c’était plus complexe. Tout d’abord il fallait bien évidemment conserver son abonnement à France Télécom, il n’existait pas d’offre d’abonnement concurrente. Ensuite seule une partie des appels pouvaient être traités par le nouvel opérateur : les appels longue distance et les appels internationaux. Les autres appels (la majorité en fait), appels locaux, appels vers les mobiles, appels vers des numéros spéciaux, restaient facturés par France Télécom, même si l’abonné utilisait son fameux préfixe.

Heureusement cela s’améliorera dans les années suivantes :

  • En janvier 2000 : lancement de la présélection : l’abonné peut demander que les appels soient confiés par défaut à son opérateur, plus besoin d’utiliser le préfixe !
  • En novembre 2000 : ajout des appels vers les mobiles
  • En janvier 2002 : ajout des appels locaux

Le préfixe à 1 chiffre : progrès ou régression ?

Objectivement, l’expérience utilisateur, pour utiliser une terminologie actuelle, était fortement dégradée : 2 factures au lieu d’une, se rappeler de changer un chiffre avant de composer un numéro, incertitude sur les appels pris en charge et donc sur le coût associé. Accepter une régression temporaire de l’expérience utilisateur en échange d’une réduction des tarifs : c’est un schéma que l’on retrouvera à plusieurs occasions dans le développement de la concurrence dans les télécoms. Cet arbitrage sera plutôt bien accepté par les consommateurs, d’autant plus que de nouveaux services et de nouveaux usages seront amenés par les opérateurs concurrents. Cette bienveillance d’une partie des consommateurs facilitera le développement des opérateurs « alternatifs ».

Les préfixes à 1 chiffre : lesquels et avec qui ?

Les préfixes à attribuer étaient le 2, le 4, le 5, le 6, le 7, le 8 et le 9. Le 1 était conservé pour les numéros d’urgence (15, 18, etc) et le 3 pour les numéros courts (3010, 3615, etc).

Une procédure menée par l’ART (Autorité de Régulation des Télécoms, l’ancêtre de l’ARCEP) conduit à l’attribution en 1997 du 2 à Siris, du 5 à Omnicom, du 7 à Cegetel, du 8 à France Télécom (qui ne s’en servira pas vraiment) et du 9 à une société qui se renommera en 9 Télécom. Début 1998, le 4 et le 6 sont attribués à Tele2 et Esprit Télécom (qui le rendra sans l’avoir utilisé).

Le 2 et le 5 ne seront utilisés que pour des offres aux entreprises, le 8 de France Télécom ne donnera pas lieu à une offre grand public et le 6 sera restitué sans avoir été utilisé, donc seuls 3 préfixes seront vraiment lancés dans le grand public :

  • Le 4 avec Tele2

  • Le 7 avec Cegetel

  • Le 9 avec 9 Télécom

Le fétichisme du chiffre

L’enjeu pour ces opérateurs était que leurs clients utilisent ce préfixe pour tous leurs appels, c’est pourquoi ils ont massivement communiqué sur le chiffre lui-même. 9 Télécom poussera l’exercice très loin en adoptant ce chiffre comme marque et en construisant une saga publicitaire autour du personnage de M. Leneuf (ou Le Neuf ?).

Le succès de cette publicité se transforme en cauchemar pour les familles Leneuf en France qui essayèrent sans succès de la faire stopper (voir un reportage sur l’affaire ci-dessous)

et un article de Libé sur le sujet : Polémique Pub Le Neuf

Ce fétichisme du chiffre 9 donnera l’idée à un des membres du marketing de 9 Télécom de lancer son blog 09h09.com dans lequel il postait chaque jour une photo prise à 9h09. Cela donnera lieu à quelques articles à l’occasion des 10 ans du Blog :  Le Blogueur de 9h09

Tele2 pour sa part qui aurait certainement préféré obtenir le préfixe 2 au lieu du 4 utilisera quand même ce chiffre 4 en se lançant avec un tarif de 44 centimes par minutes, tarif exceptionnel à l’époque (44 centimes de francs et non d’euros !). Par la suite il proposera aussi à ses clients des téléphones fixes qui remplaçaient le 0 par le 4 lors de l’émission de l’appel pour simplifier l’usage.

Tele2 aussi jouera le jeu des pubs décalées : voir ci-dessous !


Quel impact sur le marché ?

Le nombre de lignes abonnées à la « sélection appel par appel » (utilisation du préfixe) va atteindre 5 millions fin 2001, soit une pénétration d’environ 15%, puis décliner ensuite avec le développement de la présélection. La présélection sera elle-même remplacée par les offres  de box qui intègrent la téléphonie (abonnement et communications).

Sur le marché des communications longue distance, la part de marché des opérateurs « alternatifs » progressera régulièrement pour atteindre près de 38% fin 2001.

Mais il s’agit d’un marché qui décroît très rapidement en valeur, passant de plus de 3,5 Mds € à moins de 2,5 Mds € entre 1999 et 2001, sous la pression des baisses de tarifs. Donc ces opérateurs accroissent leur part d’un gâteau qui se rétrécit à grande vitesse.

Quel bénéfice économique pour les utilisateurs ?

Au final les consommateurs grand public ont bénéficié de fortes baisses de prix sur les communications longue distance, celles qui étaient ouvertes à la concurrence. Sur la période 1999-2001 le prix moyen des communications longue distance a baissé :

  • de 26,6 % pour France Télécom ;
  • de 35,6 % pour les principaux concurrents de France Télécom.

Mais du fait de l’augmentation du prix de l’abonnement France Télécom et de la croissance des appels, plus coûteux, vers les mobiles, la baisse de la facture totale a été nettement plus modeste.

On aurait pu penser que les usages se développeraient avec cette baisse de tarif (les abonnés n’ont plus peur du prix de l’appel téléphonique et se restreignent moins sur le nombre et la durée des appels), mais cela n’a été le cas que sur l’international, qui a vu son trafic augmenter alors que le trafic interurbain a décliné.

Le bilan total n’est donc pas éclatant : de fortes baisses de tarifs certes, mais ciblées sur des usages en déclin, compensées par des hausses de tarifs (abonnement) et de nouveaux usages (fixe vers mobile) et tout cela avec une régression dans l’expérience utilisateur. Mais le plus important est que les nouveaux entrants sont désormais solidement installés sur le marché et ont les moyens techniques, financiers et commerciaux de s’attaquer aux prochaines étapes : le trafic fixe vers mobile, le trafic local, l’abonnement, l’accès. Tout cela se fera à travers le développement de la voix sur IP sur l’accès internet DSL …

… des sujets pour de futurs articles !